CEDEAO : Quels bilans ?

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46 ans après sa création, la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) suscite bien des questionnements et même des critiques très acerbes un peu partout en Afrique et au-delà. Objectifs fixés par ses fondateurs galvaudés, bilan mitigé en presque un demi-siècle d’existence, peu d’avancées notables sur les plans politique, économique et sécuritaire, les uns et les autres ne manquent d’arguments pour démontrer comment la fierté d’hier est pointée du doigt aujourd’hui. L’image jadis reluisante d’une organisation sous régionale créée pour trouver des solutions est plus que préoccupante lorsqu’on s’intéresse à son évolution, son bilan et ses positions avec en toile de fond aujourd’hui l’actualité notamment au Mali ou encore en Guinée.

La CEDEAO est une initiative des peuples et des hommes d’État de l’Afrique de l’Ouest pour converger l’économie de la sous-région. Au lendemain de leurs indépendances, les pays ouest-africains avaient compris qu’il faut être grand pour faire de grandes choses. Qu’il faut être uni pour faire de grandes choses. Car, lorsque vous produisez pour 12 millions d’habitants, vous avez un coût de revient qui est largement supérieur au coût de revient de quelqu’un qui produit pour 1 milliard de personnes ou quelqu’un qui produit pour 220 millions de personnes.

En effet, plus on fait du volume, plus le cout de revient est moindre. Alors quand on veut faire des couts de revient bas, on produit en grande quantité et donc pour ça, on a besoin d’un grand marché de consommation. Voilà pourquoi l’initiative a été prise. À l’origine, c’était pour mettre à la disposition des États de l’Afrique de l’Ouest un marché énorme pour vendre à suffisamment de personnes et donc produire en grande quantité et avoir des couts de revient bas.

Mais très tôt, l’organisme dont la vocation initiale était purement économique s’est invité sur d’autres fronts. Entre gestions de conflits, médiations pour la paix, restauration de l’ordre démocratique dans les pays, celui qui était le gardien économique de la sous-région s’est transformé en monsieur-touche-à-tout intervenant même dans des domaines hors de sa compétence.

De loin, cet état de choses porte à croire que la vision première établie par les fondateurs est oubliée et galvaudée par ses leaders présents. En réalité, on s’est rendu compte au lendemain de la création de la CEDEAO que les questions de stabilité économique, de paix et de bonne gouvernance étaient corrélatives et intimement liées. Autrement dit, on ne peut parler économie sans parler d’abord stabilité, sans parler d’abord paix, sans parler bonne gouvernance, sans parler de respect d’un certain nombre de règles de base.

Ainsi donc, la CEDEAO s’est retrouvée confrontée à des situations comme un Libéria et une Sierra Leone en guerre ; une Guinée en pleine crise sanitaire, bref un écosystème défavorable au développement économique des états membres.

D’ailleurs, comment la CEDEAO peut-elle parler d’économie alors qu’un pays est en pleine guerre civile ? Comment l’organisation peut-elle parler économie alors que la Sierre Leone n’a pas la paix ? Lorsque la Guinée est décimée par une épidémie d’Ebola ? L’organisation sous-régionale s’est rendu compte que ce n’est pour rien que la Banque Mondiale finance des systèmes de santé, des systèmes d’éducation aujourd’hui. Oui, elle a compris qu’on ne peut parler économie sans une fondation consistante de paix. Donc la CEDEAO est toujours dans sa vision initiale de prôner une économie convergente, une économie de développement, mais pour cela, il va falloir qu’il y ait moins de coups d’État, moins d’instabilités politiques. Parce qu’aucun investisseur ne viendra dans une zone instable.

En 47 ans d’existence, la CEDEAO peut se féliciter d’avoir fait un travail louable et ses détracteurs eux, peuvent arrêter de lui jeter la pierre. Parce que grâce à elle aujourd’hui, nous avons plus ou moins une libre circulation des personnes et des biens. Si vous ne me croyez, faites un tour en Afrique Centrale et vous comprendrez. Ceci me rappelle une vieille anecdote que je me permets de raconter. La première fois que j’ai été au Cameroun, j’ai été remis dans un avion de circonstance pour retourner au Bénin à cause d’une mauvaise information.

En effet, comptant sur un visa touristique pour prolonger mon séjour, c’est à l’aéroport du Bénin que je me suis rendu à l’évidence que mon voyage venait de se terminer. La deuxième fois quand j’étais dans le même pays, c’est à l’aéroport que j’ai passé la nuit. Et n’eût été les relations, je serais remis encore une fois dans un avion pour repartir le lendemain.

Lorsque vous ne pouvez pas rentrer au Congo-Kinshasa qui est à deux pas du Congo-Brazzaville sans un visa, vous comprenez que la CEDEAO malgré tout a été utile et est toujours utile à quelque chose. Lorsque vous vous rendez compte que, quel que soit le malin qu’un état fait, quel que soit le malin qu’un homme d’État fait, il a quand même peur de cette institution, vous comprenez que la CEDEAO représente un véritable poids lourd du développement et de la paix en Afrique de l’Ouest. En 2017 par exemple, elle a réussi un grand coup en aidant à la restauration de l’ordre démocratique en Gambie.

Ceci, au moyen d’une intervention militaire baptisée Opération Restaurer la démocratie et qui a permis de forcer le régime autoritaire de Yahya Jammeh à céder le pouvoir à Adama Barrow, démocratiquement élu lors de l’élection présidentielle gambienne. Certes, il y a beaucoup de choses à refaire et à corriger. Mais ce n’est pas pour autant que la CEDEAO affiche un bilan totalement noir.

De grands regroupements régionaux tels que l’Union Européenne traine aujourd’hui plus de problèmes que la CEDEAO. Lorsqu’un président d’un pays de l’UE ou un Premier ministre remet en cause la démocratie, on a de quoi s’interroger. Oui, ils ont autant de problèmes que nous, problème de construction d’une unité. Mais vaille que vaille, la CEDEAO avance et avancera encore. Nous avons l’habitude de penser que le joueur sur le terrain doit marquer tous les ballons ou tous les buts possibles. Mais la réalité, c’est qu’il a marqué d’autres et avec les autres, on l’a fait ballon d’or. Eux ils n’ont pas pris en compte les nombreux buts ratés pour le priver du ballon d’or.

C’est ainsi que nous devons percevoir aussi la CEDEAO. Oui, il y a beaucoup à faire et nous espérons qu’à travers cette chronique, nous apporterons une contribution pour qu’elle puisse mieux faire. Car des avancées notables, il y en a eu dans tous les domaines. Nous sommes par exemple à deux pas d’avoir une monnaie CEDEAO. Un pas de géant qui montre que dans l’espace UEMOA, il existe une convergence économique visible nulle part ailleurs que nous sommes en train d’élargir à tous les autres pays. L’Europe a une monnaie commune, mais sans convergence économique. En Afrique de l’Ouest, nous avons déjà une certaine convergence économique et on est en train de travailler à avoir

la monnaie. Bref, il y a beaucoup de questions qui bougent lentement mais sûrement.

Sur d’autres plans, la CEDEAO au même titre que les regroupements géographiques un peu partout dans le monde, a fait des avancées et ça va aller de mieux en mieux. Parce que nous sommes à la fin des temps par rapport à un certain nombre de chefs d’État, un certain nombre de gouvernances, un certain nombre de régimes politiques, un certain nombre de générations politique. Dans peu de temps, cette génération va passer. Ce qui rendra service à la CEDEAO parce qu’une institution est ce que les hommes qui sont appelés à l’incarner lui confèrent comme attribution et comme manière d’être.

Dans beaucoup de pays, la CEDEAO fait objet de beaucoup de critiques, de ressentis et de beaucoup de rejets d’une part pour ses décisions et d’autre part pour ses incursions qui empêchent même selon certains les processus de transition d’être menés à bon port. Ces critiques sont d’autant fondées plus que les têtes pensantes de l’organisation conçoivent qu’il faut une même approche à toutes les situations.

La finalité de la CEDEAO doit être d’offrir un meilleur vivre aux peuples africains. Car, ce que veulent les populations en Afrique, c’est bien manger et bien vivre. Un dirigeant ou un gouvernant qui agit de sorte que tout le monde mange bien et soit heureux, voilà le rêve que caresse tout Africain. Partout, l’objectif de tout dirigeant, de toute organisation, de tout état doit être de faire en sorte que la population soit satisfaite. Oui, c’est d’abord le peuple. Et c’est quand il est désaccord que la CEDEAO doit intervenir.

On retiendra qu’il y a certes des choses à corriger, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut jeter de l’opprobre sur la CEDEAO parce que nous avons besoin d’elle. Aucun doute que dans les années à venir, il y aura encore des mouvements, il y aura de la mutation, les choses vont changer davantage, mais rendons grâce à Dieu parce que si la CEDEAO n’existait pas, il fallait la créer.

Patrick Armand POGNON

Professeur Emérite en Coaching Intégral, Président recteur de l’Université du coaching, Président de l’Association FIAD Monde, Président de L’Ordre des Coach en Développement Intégral, CEO ATQM SA, CEO wiki réussite et coaching tv